Combattimento dans Opera Magazine

Dans son numéro de décembre, Opéra Magazine vient de faire paraître sa critique de Combattimento et conclut : “Du grand art, que le public d’Herblay accueille dans un silence religieux avant d’éclater en ovations.” Paru dans Opéra Magazine, voici le compte-rendu du spectacle signé Bruno Villien :

“Directeur du Théâtre Roger Barat depuis 2009, Vincent Lasserre impulse une programmation aussi dynamique qu’originale. En ce 15 octobre, quatre cents personnes découvrent Combattimento, “fantasmagorie baroque” coproduite par l’Ensemble Diderot, la compagnie Les Songes turbulents, l’Atelier des Musiciens du Louvre et le Festival de Pontoise.

Dans sa présentation d’avant-spectacle, le metteur en scène, Florent Siaud, annonce que l’ouvrage original – Il combattimento di Tancredi e Clorinda, composé par Monteverdi pour le carnaval de Venise, en 1624 – marque la transition entre la musique vocale et celle qu’incarnent des chanteurs-acteurs. Mais Il combattimento… ne dure que vingt minutes : “Comme tous les bijoux, il faut le sertir.”

La solution généralement adoptée consiste à choisir d’autres pièces de ce même Huitième Livre des Madrigaux guerrieri e amorosi. Plus audacieux, Florent Siaud innove : La Gerusalemme liberata (1581), écrite par Torquato Tasso, a stimulé l’imagination d’autres compositeurs. Ils racontent, eux aussi, la Première Croisade, menée par Godefroi de Bouillon pour délivrer Jérusalem des Sarrasins. Ainsi, Mazzochi, Marazzoli ou Belli convoquent les mêmes personnages de l’épopée, qui nous font passer de la Renaissance au baroque.

La thématique de Combattimento est guerrière : littéral et figuré, le “combat” oppose désir et raison, amour et mort. Des “figures entêtantes” surgissent, telle l’envoûtante Armide, qui fait perdre aux chevaliers virilité et sens du devoir. Herminie, elle aussi, est une princesse orientale : fille du roi d’Antioche, elle s’éprend de Tancrède, son beau geôlier, mais ce dernier n’aime que Clorinde. Ces “femmes ensorceleuses, toutes de tendresse et de mélancolie” peuvent guérir les blessures, non seulement grâce aux plantes magiques, mais surtout par leurs murmures incantatoires.

L’idée des créateurs de ce spectacle, qui fonctionne à la perfection, est de plonger les personnages dans un songe orageux, celui du Tasse, entre la veille et le sommeil”. Cette vie déchirée par des amours impossibles reflète celle de l’écrivain, piégé par sa passion pour la duchesse d’Este. Dans sa cellule de l’hôpital Sainte-Anne, à Ferrare, il soupçonne un complot universel, voit des rats qui le persécutent, rédige une lettre : il se dédouble, dialoguant avec son propre spectre.

La traduction visuelle de cette conception magistrale séduit d’emblée. Placés à gauche sur la scène, éclairés par de douces lueurs, les musiciens, qui jouent sur instruments d’époque, semblent faire partie d’un somptueux tableau, signé Giorgione ou Véronèse. L’âge tendre de toute la troupe est une source de jouvence, pour soixante-dix minutes d’émerveillement. Sous la direction à fleur de peau de Johannes Pramsohler, l’Ensemble Diderot émerge de la nuit pour faire revivre ces airs lumineux, évoquant le cliquetis d’une amure juchée sur un cheval à la lutte… Vladimir Kapshuk et Matthieu Chapuis prêtent tout leur charme aux ennemis qui semblent frères, tandis que Mercedes Arcuri incarne la femme éternelle, de la berceuse initiale au lamento final.

Ce spectacle raffiné se place au rang de ceux de Benjamin Lazar et de Louise Moaty : Monteverdi et ses contemporains n’ont sans doute jamais paru aussi jeunes, aussi envoûtants. Souhaitons qu’une tournée prolonge ces instants de grâce, ces apparitions bouleversantes, ces épures où les plis  d’un manteau suggèrent des tourments indicibles, avec ces chevaliers qui s’entrechoquent en une fresque alla Masaccio…

Du grand art, que le public d’Herblay accueille dans un silence religieux, avant d’éclater en ovations.

MUSIQUE > Monteverdi, Merula, d’India, Strozzi, Landi etc.
SOLISTES > Mercedes Arcuri, Vladimir Kapshuk, Matthieu Chapuis
AVEC > L’Ensemble Diderot
DIRECTION MUSICALE > Johannes Pramsohler MISE EN SCENE > Florent Siaud
SCENOGRAPHIE > Philippe Miesch LUMIERES > Nicolas Descôteaux COSTUMES > Jean-Daniel Vuillermoz VIDEO > David B. Ricard DRAMATURGIE > Pierre-Damien Traverso
COPRODUCTION > Théâtre Roger Barat d’Herblay, Festival Baroque de Pontoise, Musiciens du Louvre, Songes turbulents, Ensemble Diderot
Avec le soutien de Jean-François Lattarico, auteur chez Garnier de Busenello, Un Théâtre de la rhétorique.
CREDITS PHOTOGRAPHIQUES > Agathe Poupeney / PhotoScene.fr Bâti autour du Combat de Tancrède et Clorinde, Combattimento, saisissant madrigal de Monteverdi, met en scène un songe tumultueux de Torquato Tasso, poète fou de la Renaissance italienne emprisonné à Ferrare en 1580. Entre veille et sommeil, il est ici visité par les personnages de sa fameuse Jérusalem délivrée. Témoin des amours du chevalier Renaud et de la magicienne Armide, il entend la belle Herminie verser des larmes, avant de décrire en conteur halluciné le duel qui oppose Clorinde à Tancrède. Entrelacée de pages instrumentales tantôt mélancoliques tantôt virevoltantes, cette fantasmagorie baroque se déploie dans un espace en clair-obscur traversé de projections vidéo spectrales. Accompagnés par l’Ensemble Diderot de Johannes Pramsohler, trois solistes mis en scène par Florent Siaud font revivre les chimères de cette plume géniale et tourmentée.

> En savoir +

– Voir la capsule de présentation du spectacle sur YouTube. – Lire l’annonce du spectacle sur le site du Festival baroque de Pontoise. – Lire l’annonce du spectacle sur le site du Théâtre Roger Barat  d’Herblay. – La fiche du spectacle sur le site de l’Arcadi Île-de-France. – Le cahier pédagogique accompagnant ce spectacle, pour le public comme les scolaires. – Entendre l’entretien sur France Culture, émission “La Dispute” (fin de l’émission). – Télécharger l’annonce du livre de Jean-François Lattarico, Busenello. Un théâtre de la rhétorique, Paris, Classique Garnier.